Soutenance de thèse en sociologie politique - Sixtine Deroure - 25 novembre 2025
Sixtine Deroure, doctorante en sociologie politique, soutiendra sa thèse le 25 novembre 2025.
Sixtine Deroure a réalisé une thèse intitulée L’État et ses martyrs : deuil public, institutionnalisation du martyre et luttes politiques dans l’Égypte postrévolutionnaire sous la direction de Sarah Ben Nefissa.
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Résumé de la thèse:
Cette thèse étudie la production du deuil public dans un contexte de restauration autoritaire, à partir du cas égyptien. Elle analyse les processus de légitimation de projets politiques concurrents à travers les luttes autour de la qualification des « bons morts » : les martyrs. Depuis la révolution du 25 janvier 2011, deux catégories de martyrs – toutes deux reconnues par l’État, malgré leur nature potentiellement antagoniste – se sont entremêlées. D’une part, les « martyrs de la révolution » : des civils tués par la police et l’armée lors des affrontements qui ont marqué deux ans et demi de soulèvement révolutionnaire ; d’autre part, les « martyrs du devoir » : des policiers et soldats tués dans la « guerre contre le terrorisme » menée par l’État égyptien depuis 2013.
À partir d’entretiens, de documents juridiques, d’un travail de veille médiatique et de l’analyse d’un ensemble spécifique de productions commémoratives et culturelles, cette thèse examine comment s’articulent les « mises en martyre » de ces deux catégories. Ces mises en martyre sont le fruit de « dispositifs de sensibilisation » déployés par divers acteurs – familles, militants, personnalités médiatiques, responsables politiques, représentants de l’État – pour produire la « reconnaissabilité » des martyrs en tant que tels. Pour les martyrs du devoir, cette reconnaissabilité vise à susciter l’adhésion à leur sacrifice, bien que les institutions qu’ils incarnent soient aussi tenues pour responsables des morts de la révolution. Pour les martyrs de la révolution, la reconnaissabilité est une condition nécessaire à leur reconnaissance officielle.
Cette quête de reconnaissance officielle n’est pas uniquement symbolique : elle est également liée à l’émergence, durant la situation révolutionnaire, d’une nouvelle catégorie d’action publique, spécifiquement dédiée aux martyrs civils de la révolution – perturbant ainsi une institutionnalisation du martyre jusque-là réservée aux soldats et policiers. Je montre alors que le régime postrévolutionnaire se trouve doublement obligé. D’un côté, il doit développer de nouveaux outils institutionnels pour honorer les martyrs du devoir, tombés en nombre dans la « guerre contre le terrorisme ». De l’autre, il reste lié par ce que j’analyse comme une forme d’emprise révolutionnaire : malgré la restauration autoritaire et la réduction officielle de la révolution au silence depuis fin 2013, l’État continue de reconnaître les martyrs de la révolution. Bien qu’invisibilisées, leurs familles bénéficient encore – quoique de manière dégradée – de certains services, et des commémorations discrètes sont organisées en leur mémoire.
Ce travail éclaire les ambiguïtés de la restauration autoritaire et contribue aux travaux sur les afterlives révolutionnaires, en montrant les difficultés des autorités postrévolutionnaires à se débarrasser d’un héritage révolutionnaire encombrant : ses morts.